Intox médiatique, Inf’Obésité : la société du stress permanent

Ce n’est pas parce que nous recevons beaucoup d’informations que nous sommes bien informés…

Plus sournoise que la pollution de nos assiettes, de l’eau ou de l’air, il nous faut considérer la pollution mentale.

Les images et les informations délivrées par notre société ultramédiatisée peuvent en effet entraîner une véritable intoxication1, au sens médical du terme : une « altération de l’état de santé provoquée par l’action d’une substance toxique (poison) sur l’organisme ».

L’idée que les informations que nous percevons puissent être source de maladies n’est pas commune.

 

photo Lord Jérôme, sur Flikr, CC

La possibilité que les pensées puissent nous rendre malades est rejetée par la médecine, ce qui n’empêche pas certains médecins de manier, parfois abusivement, l’argument du « psychosomatique » lorsqu’ils se trouvent désarmés devant un cas…

Pourquoi les Français sont-ils les plus grands consommateurs mondiaux d’antidépresseurs ? Ce déséquilibre généralisé de la psyché2 vient-il seulement de conditions de vie difficiles ? Probablement pas. Car la télévision et les médias en général ont leur part de responsabilité. Leurs informations anxiogènes nous maintiennent dans un état d’alerte permanent, ce qui est la définition même du stress. Le matraquage médiatique et la dépendance au journal télévisé de 20 heures peuvent constituer un facteur aggravant pour les personnes sensibles aux troubles psychosomatiques !

Stress chronique médiatique

Le stress se caractérise par une réaction de l’organisme à un effort d’adaptation (plus ou moins important) imposé par la vie en société. Le stress active un processus hormonal et nerveux basé sur un état d’attention maximum, ce qui implique l’augmentation du rythme cardiaque et un état de vigilance. Le stress est bénéfique lorsqu’il est bref car il permet de réagir favorablement face à une situation d’urgence : préparer un examen, éviter de justesse un accident, etc.

En revanche, un stress permanent (chronique) est pathogène car il conduit à l’épuisement de l’organisme qui ne parvient plus à activer le mode « détente ». En nous exposant continuellement à des informations qui « zooment » toujours plus sur l’insécurité, la violence, la souffrance, la précarité, nous sommes maintenus malgré nous dans cet état de stress chronique.

C’est prouvé : le stress chronique épuise notre système immunitaire (qui est le premier pilier de notre santé). Deux psychologues américains3 ont compilé près de trois cents études — qui ont été publiées sur une période de trente ans — sur la relation entre le stress et l’immunité. Au total, près de dix-neuf mille individus ont participé à ces études, de tous âges, mais principalement jeunes (âge moyen : 35 ans), le plus souvent en bonne santé.

Leurs résultats confirment l’association entre les événements stressants et des modifications de notre immunité. Ces modifications dépendent de la nature et de la durée du stress, mais aussi des capacités de résistance de l’individu. Dans cette étude, les stress les plus chroniques sont associés à l’immunosuppression4 la plus globale. Ainsi, la prolongation du stress « fait déplacer les modifications potentiellement adaptatives vers des modifications potentiellement délétères ».

En d’autres termes, un stress chronique va aboutir à une perte d’autorégulation du système immunitaire qui nous rend « plus vulnérables aux effets immunologiques négatifs du stress ». Un vrai cercle vicieux5.

Où sont les bonnes nouvelles?

 

Illustration extraite de TV Lobotomie, livre de Michel Desmurget, Max Milo (2012).

Non seulement la société médiatique nous entretient dans un stress continu mais il est d’autant plus difficile à supporter que les informations martelées sont très rarement compensées par les bonnes nouvelles qui pourraient « rassurer » notre système immunitaire.

« Que fait la télévision à longueur d’émissions ? Elle suggère que le monde est dangereux, que les envahisseurs nous guettent, que la misère dévaste les pays du Sud, que des tireurs fous mitraillent des enfants dans les écoles », commentent de leur côté René Blind et Michael Pool, dans leur livre La Machine à décérébrer6. « Les réponses au mal proposées à l’écran sont dérisoires : seul un Superman auquel un enfant de 5 ans cesse de croire peut sauver le monde. Face à la misère dans les slums de Calcutta, il n’y a que des Mère Teresa. Des héros ou des saintes. Jamais notre force, notre bon sens, notre solidarité, notre liberté ne résolvent les problèmes. Ce sentiment d’impuissance rend impuissant. Ces images de souffrance font souffrir, ces messages d’angoisse nourrissent nos angoisses, et tout cela ne saurait nous conduire à la santé… »

Que penser par ailleurs du nombre de séries télévisées violentes et sanglantes sur lesquelles tombent régulièrement les enfants, les plongeant dans un stress visuel dont ils peinent à s’extraire sans l’aide de leurs parents ?

Inf’Obésité : impossible d’exercer son esprit critique

Autre problème, la surcharge informationnelle. Martelées un grand nombre de fois et en tout sens, les infos pénètrent dans notre cerveau sans que nous puissions prendre le recul nécessaire pour les analyser ou exercer notre esprit critique. Le cerveau les accepte pour « vraies » dès lors qu’elles se succèdent avec rapidité. 

L’infobésité peut aussi entraîner un phénomène nommé « surcharge cognitive » rappelle ce dossier intéressant réalisé à l’université de Strasbourg (LIEN).
Cette surcharge cognitive est liée à la mémoire travail, si trop  d’informations (pertinentes ou non) se trouvent dans la mémoire travail, lorsque la charge cognitive mobilisée dépasse les ressources disponibles il y a alors surcharge cognitive. Les ressources cognitives requises pour une tâche dépendent du niveau d’expertise du sujet dans le niveau concerné, de son niveau de développement et de la stratégie qu’il adopte.
Aussi la surcharge peut elle être la résultante de:
• des sources différentes d’informations simultanément, l’utilisateur n’ayant pas de stratégie suffisamment efficace pour les intégrer
• un nombre trop grand d’options, utilisateurs n’arrivant pas à établir de priorités 
• une désorientation, l’utilisateur confronté à une navigation complexe devra surcharger sa mémoire à court terme d’informations l’aidant à se repérer, limitant ainsi l’attention qu’il peut porter au contenu.

Cette surcharge se manifeste à différents niveaux:
• intellectuel: désorganisation mentale, incapacité à sérier les problèmes et à les résoudre
• émotionnel: stress, sentiment de détresse, agressivité, fragilité émotionnelle
• physique: mal au dos, tensions musculaires, sommeil agité

Intoxication aiguë et chronique

Certes, l’exposition à la télévision ne nous rend pas immédiatement malades. Il ne s’agit donc pas d’une intoxication aiguë, à la manière d’une indigestion qui nous clouerait au lit dans les trois heures qui suivent le repas. Néanmoins, quelques rares fièvres médiatiques ne sont pas si éloignées de ce concept d’intoxication aiguë, dans la mesure où elles sont capables de générer un soudain et intense traumatisme émotionnel et de fabriquer un consentement collectif en nous faisant abandonner (voire perdre) la raison. Tel un malade délirant sous l’effet de la fièvre, nos comportements collectifs peuvent s’en trouver altérés.

Ce fut notamment le cas du 11-Septembre, où le choc des images a permis de faire accepter facilement à une grande partie de la population mondiale la guerre contre le terrorisme, sans que nous nous puissions poser la moindre question sur le bien-fondé d’une telle entreprise. « Les images des avions qui s’écrasaient et de l’effondrement des tours ont créé un effet de choc en même temps qu’elles suscitaient de violentes émotions », écrit Carol Gluck, de l’université de Columbia, dans 11-Septembre. Guerre et télévision au XXIe siècle7.

« La sphère publique pathologique « 

« Mais le phénomène le plus remarquable, en ce qui concerne l’économie politique de la télévision dans les jours qui ont suivi le 11-Septembre, a été la combinaison d’une diffusion compulsive par les directeurs de programme et d’une consommation obsessionnelle d’images par les téléspectateurs. Certains ont confessé être restés comme  » scotchés  » devant leur poste, regardant en boucle les mêmes images d’horreur, sans être vraiment conscients de ce qu’ils faisaient. Outre la fascination pour l’inimaginable image — et celle-ci l’était bien —, voire le lien (malsain) entre terrorisme et sublime, peut-être l’attirance pour l’épouvantable grandeur de l’événement est-elle un exemple de ce que Mark Seltzer a appelé  » la sphère publique pathologique « , dans laquelle le spectacle des catastrophes et de la mort non seulement nous attire mais nous rapproche aussi les uns des autres, dans un acte social d’identification aux victimes », rappelle Carol Gluck.

Hormis cet exemple qui a généré un stress intense et immédiat, et une réponse immunitaire collective face à l’agresseur terroriste, le matraquage télévisuel relève plus communément de l’intoxication chronique. À la différence de l’aigu, la chronicité se caractérise par une évolution lente, sans signe apparent. Notre système immunitaire est obligé de composer chaque jour avec des informations malsaines, distillées de manière continue, des « toxines à bas bruit » (c’est-à-dire des pensées poisons que nous ingérons à faible dose mais de manière ininterrompue et sur de longues années). Ce type d’intoxication est difficile à repérer, mais ses effets sur le long terme n’en sont pas moins dévastateurs. La chronique médiatique nous épuise sans que nous puissions clairement en identifier la cause.

Il devient ainsi plus aisé de nous contrôler

Nous sommes continuellement exposés à des informations qui, petit à petit, font leur chemin dans notre esprit, nous amenant finalement à une forme d’aliénation, c’est-à-dire à faire nôtres des pensées qui n’émanent pas de notre réflexion personnelle mais de celles des médias. Ces derniers véhiculent une vision de la société plus sombre que lumineuse. À cause de tant de martèlement médiatique, nous finissons par accepter cette vision faussée de la réalité. Rendu craintifs et méfiants, nous devenons davantage préoccupés par notre propre sécurité que par l’évolution de notre humanité. Il devient ainsi plus aisé de nous contrôler.

Toutes ces informations pathogènes nous tuent à petit feu plus qu’elles nous guident vers la pleine santé ! Lorsque nous écoutons la radio ou regardons la télévision, la balance bénéfice/risque ne penche donc pas en notre faveur. D’autant plus que la publicité en rajoute une couche et nous pousse à des comportements à risque : manger toujours plus, préférer les produits gras et sucrés, rouler à toute allure dans des berlines puissantes, recourir à des gadgets technologiques plutôt qu’à nos capacités réelles.

Si les médias voulaient vraiment représenter une menace toxique pour la population, ils n’auraient pas grand-chose à changer dans leur fonctionnement. Il est urgent de les remettre en question et de leur demander ce qu’ils ont fait de leur prétendue vocation à servir l’humanité ! Et ce qu’ils font de notre redevance télévisuelle…

 

NOTES :

1Terme attesté en 1484 sous la forme intosiquer, « empoisonner par un poison » et en 1521 sous la forme intocciquer, « empoisonner moralement ». En 1823, le mot signifie « empoisonner par l’absorption d’un toxique » (Boiste). La forme pronominale s’intoxiquer se constate en 1883. Emprunté au latin médiéval intoxicare, dérivé de toxicum (toxique). Inconnu aux XVIIe et XVIIIe siècles, le mot a été réintroduit en 1823 ; il connaît aujourd’hui une véritable prospérité !

2Ce terme de psychologie analytique désigne l’intégralité des manifestations conscientes et inconscientes de la personnalité et de l’intellect humain. Le mot psyché (issu du grec ancien) signifie « âme », « esprit ».

3Les conclusions de Suzanne Segerstrom (University of Kentucky) et Gregory Miler (University of British Columbia) ont été publiées dans le Psychological Bulletin de l’American Psychological Association le 5 juillet 2004.

4 L’immunosuppresion est une suppression partielle ou complète des réponses immunitaires.

5Lire à ce sujet Le Stress permanent, des psychiatres Pierre et Henri Lôo et André Galinowski, éditions Masson (3e édition, janvier 2003).

6 David Grossman, René Blind et Michael Pool,Comment la télévision et les jeux vidéo apprennent aux enfants à tuer, suivi de La Machine à décérébrer, éditions Jouvence, 2003.

7Éditions de l’EHESS, Annales. Histoire, Sciences Sociales, janvier 2003, pages 135 à 162.

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Un commentaire sur “Intox médiatique, Inf’Obésité : la société du stress permanent”

  1. GRONDONNA dit :

    Je suis entièrement d’accord avec le commentaire ci dessous, il est claire que les médiats manipulent l’esprit des Français et les sondages avec des questions déviées .

    Si les médias voulaient vraiment représenter une menace toxique pour la population, ils n’auraient pas grand-chose à changer dans leur fonctionnement. Il est urgent de les remettre en question et de leur demander ce qu’ils ont fait de leur prétendue vocation à servir l’humanité ! Et ce qu’ils font de notre redevance télévisuelle…

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