SIDA : Les contradictions du Pr. Montagnier

PAR Djamel TAHI

Journaliste

Producteur/Réalisateur de films documentaires (Sida, le doute, 1996)

ARTICLE PARU DANS LE MAGAZINE NEXUS (janvier-février 2010)

Depuis quelques jours, une vidéo mise en ligne sur Internet fait le buzz et agite le monde de la recherche sur le SIDA (http://www.youtube.com/watch?v=WQoNW7lOnT4&NR=1). Il s’agit d’une récente interview du Professeur Luc Montagnier dans lequel celui-ci déclare : «On peut être exposé au VIH de nombreuses fois sans être chroniquement infecté. Une personne avec un bon système immunitaire éliminera le virus en quelques semaines. »

Ces propos ont de quoi surprendre quand on sait qu’ils émanent du prix Nobel de Médecine 2008, obtenu justement pour la découverte, en 1983, du virus responsable du SIDA : le VIH. Mais le Professeur Montagnier n’en est pas à son premier coup d’essai en la matière. Déjà en 1990, il déclarait sur une chaîne américaine que le VIH n’était pas seul en cause dans le nouveau syndrome (invoquant l’implication d’un ou plusieurs co-facteurs infectieux), et que son rôle ne pourrait être que secondaire dans la destruction du système immunitaire des personnes infectées. À l’époque, cela équivaut à totalement innocenter le virus. Cette déclaration déclenche un tollé dans la communauté scientifique, qui associe Luc Montagnier au virulent Professeur Peter Duesberg, célèbre rétrovirologiste américain de l’Université de Berkeley, en Californie, et chef de file d’un groupe de scientifiques « dissidents » qui conteste jusqu’à aujourd’hui l’implication du VIH dans le syndrome. En 1993 et 1998, lors de la réalisation d’un film documentaire consacré aux chercheurs dissidents, le virologiste de l’Institut Pasteur me réitéra ces propos, ajoutant que les personnes ayant un bon système immunitaire étaient protégées de l’infection par le VIH. Déjà !

Mais au-delà de la nature surprenante des déclarations du virologiste français, il serait bon de les décrypter et d’en mesurer les (in)conséquences. Tout d’abord, la constance avec laquelle Luc Montagnier renouvelle ces propos depuis deux décennies, nous révèlent que fondamentalement il n’a jamais cru au VIH comme principale et unique cause du syndrome. À se demander si aujourd’hui il lui attribue un rôle quelconque. Et bien qu’il ait toujours fermement condamné la position des Dissidents face au SIDA, chacune de ses nouvelles déclarations le rapproche un peu plus de leur hypothèse et l’éloigne d’avantage de la thèse officielle : VIH=SIDA. Néanmoins, Luc Montagnier rejette toute assimilation aux Dissidents et reste un des plus fervent défenseur de la recherche officielle du SIDA. Ce numéro d’équlibriste, pour le moins hasardeux, lui confère une position qui lui permet à tous moments, de basculer d’un camp à l’autre, au gré des progrès et des doutes de la recherche sur le SIDA. Cette attitude ne caractérise pas un grand courage scientifique, ni une attitude très honnête vis-à-vis des millions de personnes diagnostiquées séropositives et qui vivent avec la hantise de la maladie.

Il est très regrettable que le jeune journaliste américain qui a recueilli les récents propos du Professeur Montagnier, ne l’ait pas incité à nous révéler ce qui lui permettait de lancer de telles affirmations. Quelles sont les études scientifiques lui permettant de tirer ces conclusions ? par qui ont-elles été menées et ont-elles fait l’objet d’une publication ?? Aussi, nous aurions aimé savoir si les personnes dotées d’un « bon » système immunitaire et en mesure d’éliminer le virus, gardaient une trace de l’infection ? En d’autres termes, sont-elles séropositives ? Dans l’affirmatif, et si on en croit les assertions du Professeur Montagnier, il y aurait donc des millions de personnes séropositives dans le monde qui vivent avec l’angoisse de développer un SIDA, alors qu’il n’en est rien ! Et bon nombre d’entres-elles suivent un traitement dont les effets secondaires peuvent êtres extrêmement toxiques, et pourrait donc leur être très préjudiciable. Ces informations sont capitales et il est urgent de les communiquer aux personnes concernées, pour qu’elles soient informées de l’innocuité de ce virus et stoppent au plus vite leurs traitements. Mais alors, quels vont être les critères cliniques et biologiques qui permettront de déterminer ceux qui ont jugulé l’infection et éliminé le virus ? Si, au contraire, ces personnes sont séronégatives (ce qui serait pour le moins très surprenant), comment prouver qu’elles ont été en contact avec le virus si celui-ci n’as laissé aucune trace de son passage ?

On le voit bien, cette déclaration de Luc Montagnier est loin d’être anodine et remet en cause bien des aspects de la recherche sur le SIDA, à commencer par sa pathogenèse et son étiologie.

À l’évidence Luc Montagnier n’a aucun argument scientifique pour supporter ses dires. Ou alors inavouables ! car le découvreur du VIH basculerait définitivement dans le camp des Dissidents. Ces derniers se délectent des déclarations du virologiste français, voyant en lui (à nouveau) un allié de poids face à la communauté scientifique qui les a toujours vilipendés. Mais plutôt que de considérer comme un des leurs un chercheur toujours prompt à changer d’avis, et qui par ailleurs les as toujours condamnés, les Dissidents devraient s’interroger sur les fondements des assertions récurrentes du Professeur Montagnier, quant au rôle de « son » virus dans le syndrome.

Pour leur part, les responsables de la recherche sur le SIDA ont pris l’habitude d’ignorer les propos du virologiste français en contradiction avec le dogme établi. Par le passé, leurs critiques se limitaient à de simples formules renvoyant Luc Montagnier à la responsabilité de ses propos, arguant qu’ils avaient mieux à faire pour lutter contre le fléau. Néanmoins, le malaise reste palpable vis-à-vis de l’ex-chercheur de l’Institut Pasteur. Et cette dernière déclaration ne fera que l’accroître.

C’est pourquoi, aujourd’hui les propos du Professeur Luc Montagnier et les conséquences qu’ils impliquent, appellent de toute urgence à une clarification de sa position quant au rôle du VIH dans le SIDA. C’est le moins que nous puissions attendre de la part d’un Prix Nobel de médecine.

Le Prix Nobel répond

Propos recueillis par Pryska Ducoeurjoly (pour le magazine NEXUS janvier-février 2010. www.nexus.fr)

«Ma déclaration – tirée hors de son contexte par un film à la gloire des «dissidents» et reprise sur internet par un site à la recherche de polémique – est basée sur des observations que j’avais faites alors que j’étais Directeur du Centre de Référence sur la virologie du SIDA à l’Institut Pasteur : nous avons eu plusieurs cas de personnes ayant une séropositivité transitoire durant quelques mois, et redevenant séronégatives.

Ceci est difficile à détecter, étant donné le caractère furtif de l’infection, mais reflète simplement, appliqué au SIDA, un phénomène général existant dans beaucoup d’infections virales : celles-ci, sous l’effet d’une bonne réponse immunitaire disparaissent en quelques semaines.

Dans le cas du VIH, cela explique l’énorme disparité entre les prévalences au Nord (0,1 % chez nous), et au Sud (5 – 10% en Afrique). Au Sud, pour bien des raisons (les co-infections, la malnutrition) le système immunitaire de beaucoup d’Africains est fragilisé et laisse la place à une infection chronique par le VIH.

Ces cas de séropositivité transitoire ne minimisent en aucun cas la dangerosité du VIH qui reste l’élément clé déclencheur du SIDA mais ils suggèrent que l’on peut faire régresser l’épidémie en Afrique par des mesures générales de santé publique. »

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