Dépression, anxiété, addictions, troubles neurologiques, soins palliatifs, maladies psychosomatiques, et si la solution à de nombreux maux résidait dans les psychédéliques ? Cette proposition peut paraître stupéfiante et pourtant ! Depuis le début des années 90, on assiste à un boom de la recherche scientifique sur des molécules longtemps décriées pour leur dangerosité et donc interdites. LSD, psilocybine, MDMA, mescaline, on découvre aujourd’hui qu’elles ne sont pas des drogues mais plutôt de supers médicaments.
LSD versus Prozac? À travers cette enquête documentée, je vous révèle les multiples applications des thérapies psychédéliques qui, au même titre que la médecine quantique, pourrait révolutionner notre conception de la santé et de la conscience.
Dossier de Pryska Ducoeurjoly paru dans Néo Santé numéro 88
Il y a 10 ans, le Docteur Olivier Chambon publiait un ouvrage précurseur[1]: La médecine psychédélique, le pouvoir thérapeutique des hallucinogènes. Ce premier livre en français écrit par un médecin révélait au grand public l’intérêt des substances chimiques psychoactives dites psychédéliques, telles que la psilocybine, la mescaline, le LSD ou la DMT. « L’ouvrage a été accueilli dans un silence assourdissant de la part des médias. C’est un sujet qui fait peur car il y a beaucoup de désinformation à propos de ces substances, abusivement qualifiées de drogues. Il s’agit en en réalité de « supers médicaments », dont l’efficacité est supérieure à bon nombre de traitements conventionnels ».
Qu’elles soient d’origine naturelle ou synthétique, ces substances nécessitent surtout d’être employées dans un cadre médical sécurisé, comme celui proposé par les protocoles expérimentaux de la recherche actuelle. « Ces médicaments potentiels pourraient alors permettre de réels progrès dans de nombreux domaines, à commencer par la psychiatrie, dont les pratiques n’ont pas évolué depuis 20 ans », explique Olivier Chambon.
Le terme psychédélique veut dire « permettant la manifestation de l’esprit ou de l’âme ». Il a été proposé en 1957 par le Docteur Humprey Osmond, un psychiatre britannique. Comme lui, de nombreux psychiatres des années 50 expérimentèrent sur eux-mêmes (et sur leurs patients) des molécules comme le LSD et la psilocybine. Ils comprirent très vite l’intérêt de ces substances dans la résolution des troubles de l’humeur, mais ils furent aussi subjugués par les phénomènes d’expansion de la conscience.
La première vague: un tsunami !
Comme le rappelle le docteur Olivier Chambon, la médecine psychédélique c’est d’abord « l’histoire d’une première naissance qui a mal tourné : en Occident, entre 1947 et 1976, on a assisté à une explosion phénoménale de l’intérêt de la recherche (à la fois dedans et en dehors des laboratoires). Durant cette période, plus de 700 articles furent publiés dans des revues à comité de lecture, attestant la sécurité et l’efficacité des psychédéliques, et enrichissant la pratique clinique et la méthodologie de recherche. D’innombrables publications décrivirent l’évolution de quelque 40 000 patients ayant pris part à une thérapie assistée par psychédéliques (TAP) ou à des essais cliniques, et plusieurs dizaines de livres parurent sur le sujet. Les psychédéliques étaient alors considérés comme les outils d’exploration de l’esprit humain les plus prometteurs que la psychologie jamais connue. »
Mais l’euphorie scientifique tourna court avec l’interdiction de la consommation de psychédéliques en 1966 : le LSD était sorti des laboratoires sous l’impulsion du psychologue militant Timothy Leary, et avait entraîné une consommation incontrôlée au sein de la contre-culture hippie. Insoutenable pour le système capitaliste dominant… Dès 1968, la recherche fut aussi prohibée, et de nombreux chercheurs sont restés stupéfaits face à l’arrêt brutal de leur enthousiasmants travaux. Ceci n’empêchera pas la CIA d’utiliser le LSD dans le cadre d’expérimentations illégales sur des sujets humains au Canada et aux États-Unis dans le cadre du projet de manipulation mentale MK-Ultra… Il faudra attendre 1992, pour que la FDA américaine autorise la reprise de la recherche, grâce à la ténacité du Docteur Rick Strassman pour l’étude de la DMT (voir notre lexique). Autres temps, autres mœurs, l’agence américaine soutient maintenant plusieurs essais cliniques.
La seconde vague se profile à l’horizon
Depuis la reprise de la recherche sur les psychédéliques, notamment dans les meilleures institutions hospitalo-universitaires américaines (New York University, Johns Hopkins, Mount Sinai, UCLA), leur intérêt thérapeutique ne s’est pas démenti. A travers des protocoles expérimentaux plus aboutis, correspondant aux standards de l’evidence based medecine, on arrive maintenant à des essais cliniques de phase 2 et 3, notamment pour le traitement du stress post-traumatique avec la MDMA (ou ecstasy). Plus largement, on commence à mieux appréhender l’immensité du champ d’application de ces molécules : dépression, TOC, douleurs, toxicomanie…
Même si le monde académique regarde encore ce renouveau d’un drôle d’œil, trois associations américaines et trois associations européennes jouent les mécènes : la Maps (Multidisciplinary association for psychedelic studies, maps.org), le Heffter research center (heffter.org), la fondation Beckley (Angleterre), la Société psychédélique russe et l’Association suisse pour la thérapie psycholytique (SAPT). En France, la recherche reste interdite, même s’il existe une société psychédélique française, qui fait de la médiation culturelle et scientifique sur ce thème.
« La réintroduction pourrait se faire d’abord dans le cadre de la recherche thérapeutique en milieu hospitalier, propose Olivier Chambon. L’objectif principal serait de rassurer l’opinion publique en démontrant l’intérêt des psychédéliques pour des populations ciblées dans des conditions d’utilisations bien contrôlées et surveillées. C’est le premier pas pour déconditionner les esprits par rapport aux décennies de méconnaissance, voire d’hystérie et de paranoïa ».
LSD versus Prozac : qu’est-ce qu’une drogue?
Saviez-vous que les psychédéliques n’entraînent pas de dépendance ? C’est incontestablement prouvé! Mieux, les études scientifiques redécouvrent leur grand potentiel antitoxicomaniaque. Ils n’entraînent pas de fuite du réel ou d’isolement. Au contraire, les psychédéliques amènent une perception plus aiguë des réalités externes et internes, augmentent l’empathie vis-à-vis de l’entourage, développent la conscience écologique et spirituelle.
En anglais, le terme drug désigne tout type de substances médicamenteuses. Mais scientifiquement, on classe les vraies drogues dans deux catégories : les stimulantes, comme la caféine, la cocaïne, la nicotine, les amphétamines; et les sédatives, comme les opiacés (dont l’héroïne), les benzodiazépines (Valium) ou l’alcool. « Les psychédéliques font partie d’une troisième catégorie de substances, celle qui modifie la “qualité” de la conscience plutôt que d’accentuer ou réduire des processus mentaux », explique le docteur Chambon.
Autre différence de taille avec les vraies drogues et plus largement avec d’autres médicaments classiques, leur innocuité. Elle s’évalue à travers l’“index thérapeutique”, mesure classique de la toxicité aiguë qui se définit par le rapport entre la dose qui tue 50 % des sujets et la dose qui est efficace dans 50 % des cas. « Plus l’index est élevé, meilleur est le profil de sécurité du médicament. Or pour des psychédéliques comme le LSD ou la psilocybine, cet index est de 600. Ces substances sont particulièrement sûres ! Avec peu de risques létaux si on les compare à d’autres comme l’aspirine (199) ou la nicotine (21) », relate Olivier Chambon. Et de citer une anecdote : « L’aspirine est une drogue, le peyolt est sacré », réponse d’un chamane indien Huichol (Mexique) à une journaliste qualifiant ce cactus à mescaline comme une drogue.
Bad trip médiatique
La psilocybine ou le LSD ont été testés par des millions de personnes et rares sont les cas de décès comparés au nombre de doses avalées depuis plusieurs décennies. Mais les médias ont tendance à sauter sur les rares cas d’incidents sous psychédéliqueS, parfois faussement attribué à leur emploi. « Ceci n’a pas de valeur scientifique. C’est un peu comme si on focalisait uniquement sur les accidents de la route pour dire que la voiture doit être supprimée, négligeant l’immense majorité des trajets quotidiens qui, heureusement, se déroule sans encombre », déplore Olivier Chambon.
Résultat, selon une enquête IFOP pour Terra Nova et Echo Citoyen parue en juin 2018, les psychédéliques sont considérés par le grand public comme aussi dangereux que la cocaïne, et beaucoup plus dangereux que le tabac ou l’alcool. Pourtant, les études scientifiques, comme celle David Nutt,[2] de l’Imperial College de Londre, montrent que ce sont les molécules actives les plus inoffensives aussi bien pour les utilisateurs que pour autrui.
Cela n’exclut pas la nécessité d’un cadre sécurisé pour leur emploi, comme l’ont bien compris les cultures indigènes : une préparation, un accompagnement, un environnement approprié, un dosage adapté, et surtout l’exclusion de certaines interactions médicamenteuses ou de certains profils psychologiques incompatibles avec ces thérapeutiques. « Il ne s’agit pas de reproduire les abus des années 60–70, mais d’inscrire au Vidal une nouvelle classe de médicaments », argumente le docteur Chambon.
Hallucinations ou révélations ?
Presque tous les psychédéliques sont des alcaloïdes, répartis en deux familles chimiques : les phénéthylamines (mescaline, MDMA ou ecstasy) et les tryptamines (DMT, psilocybine, LSD, ibogaïne et d’autres). Elles agissent principalement sur le circuit cérébral de la sérotonine (précisément le récepteur 5–HT2A). Les phénéthylamines agissent en outre à travers la dopamine et la noradrénaline, neurotransmetteurs principalement responsables d’effets stimulants. Ces familles de molécules entraînent des hallucinations. Mais ces hallucinations ne seraient-elles pas plutôt des visions symboliques d’une autre réalité ? Beaucoup de chercheurs en sont aujourd’hui persuadés. D’ailleurs, la réalité ordinaire elle-même ne pourrait être qu’une hallucination produite par notre cerveau car, pour la physique quantique, la « vraie » réalité n’est composée que de vide et de particules en mouvement…
À la différence des hallucinations psychotiques, produites par un désordre mental, les visions sous psychédéliques peuvent s’avérer particulièrement cohérentes et créatives. Elles provoquent un sentiment de révélation, un “eurêka !” de la conscience accouchant de plus grand que soi. Deux prix Nobel n’ont-ils pas reconnu avoir été inspiré par le LSD ? La structure en double hélice de l’ADN (Francis Crick), et la méthode de la réaction en chaîne par polymérase (CRP), couramment utilisé par les laboratoires (Karry Mullis), sont le fruit de visions psychédéliques… N’est-ce pas hallucinant ?
Les explications de la résonance magnétique
Dans deux études de 2012,[3] Robin Carhart-Harris et ses collègues du Collège Impérial de Londres mettent en évidence, sous psychédélique, une diminution de l’activité de certaines zones importantes du cerveau, notamment dans le cortex médial préfrontal et le cortex cingulaire postérieur, deux centres très importants dans la conscience, la sensation du moi et la prise de décision. Elles sont comme « endormies ». Parallèlement, d’autres zones de communications s’activent, permettant au sujet d’avoir accès à plus de souvenirs personnels.
Pour Robin Carhart-Harris, on peut parler de mise en veille du “mode par défaut” cérébral sous l’influence de ces substances, qui entraînent parallèlement une sorte de “reset”, c’est à dire un nettoyage des pollutions émotionnelles ou limitations existentielles. Cela remet les compteurs à zéro, répare les blessures en les intégrant dans une vision plus large et permet de réorienter sa vie vers plus de bien-être, une meilleure hygiène de vie et moins de conflits relationnels.
De très larges indications thérapeutiques, selon la recherche
Tabac, addictions et toxicomanie. Les psychédéliques peuvent soigner la dépendance aux drogues, des plus légères (café, tabac, certains médicaments), aux plus dures (héroïne, cocaïne, amphétamines). Ils peuvent aussi réduire ou supprimer les symptômes du sevrage. Pour le tabac par exemple, une étude pilote de l’université Hopkins[4] (2017) montre qu’avec trois prises de psilocybine 80 % des patients ne fument plus de cigarettes après six mois, et 67 % après douze mois, un niveau largement supérieur aux médicaments conventionnels (35%). Les “champis” sont plus efficaces que le Champix… Cette étude n’a été conduite sur 15 patients mais elle est déjà très prometteuse puisqu’il s’agissait de personnes fumant un paquet par jour depuis 30 ans en moyenne.
La dépression. On sait que les psychédéliques ont une action sur les récepteurs de la sérotonine. C’est donc tout naturellement qu’ils ont été testés comme une alternative aux antidépresseurs classiques comme les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine. Robin Carhart-Harris a montré que la psilocybine obtient des résultats bien supérieurs au traitement conventionnel pour les dépressions sévères incurables. Dans une étude publiée en 2018 portant sur 20 patients, il montre comment deux doses de psilocybine administrées dans le cadre d’un protocole de plusieurs séances de préparation et d’intégration procurent non seulement un soulagement immédiat mais aussi des effets bénéfiques à long terme (6 mois).[5]
En 2018, la FDA a récemment accordé la désignation de “thérapie révolutionnaire” (breakthough therapy) à l’utilisation de la psilocybine dans la dépression, ce qui permettra d’accélérer la mise sur le marché. Cela concerne un essai clinique de phase 2b, dont le but est désormais de déterminer la dose optimale.
350 millions de personnes souffrent de dépression dans le monde, c’est l’équivalent de la population des États-Unis. Comme le rappelle Robin Carhart-Harris,[6] cette pathologie n’est pas quelque chose que l’on peut mettre sous le tapis : elle coûte 200 milliards de dollars chaque année aux États-Unis et représente la première cause de décès chez les hommes de moins de 45 ans en Grande-Bretagne. 50 cachets pour 1000 habitants, c’est la consommation annuelle d’antidépresseurs en France… « 15 % des personnes souffrant de dépression se suicident, rappelle le chercheur. Si 50 % de la population répond aux traitements conventionnels, il reste encore 20 % de personnes pour lesquelles cela ne marche pas”.
Les troubles de l’humeur en général. Plus généralement, de récentes études randomisées et contrôlées par placebo ont révélé que la psilocybine (chez 25 adultes, Carhart-Harris 2016 ) et le LSD (chez 20 adultes, Kraehenmann 2015) sont associés à une humeur positive accrue et au bien-être psychologique. Elles confirment d’autres travaux démontrant les effets antidépresseurs ou anxiolytiques des psychédéliques comme le LSD, la psilocybine et l’Ayahuasca.[7]
Le syndrome prémenstruel sévère. Le syndrome prémenstruel lié au cycle féminin est un trouble qui empoisonne la vie de nombreuses femmes. Dans sa forme sévère, elle est soignée par antidépresseur, comme le Prozac, ou par les hormones de synthèse. Dans “A really Good day”, récit autobiographique paru en 2016, l’Américaine Ayelet Waldman,[8] mère de famille en pleine crise existentielle préménopausique, raconte comment une auto–médication d’un mois à base de micro-doses de LSD à raison d’une prise tous les trois jours a fait une « méga différence » dans son humeur, son mariage et sa vie”.
Prévention des suicides. Phénomène plus meurtrier que les accidents de la route : près de 10 000 personnes se tuent volontairement chaque année en France. Il y aurait aussi de 200 000 tentatives annuelles. Les causes (la solitude, la dépression, la maladie physique et les problèmes de couple ou de famille) peuvent être soulagées par les psychédéliques. Une large étude de 2015 portant sur 190 000 personnes a montré que les psychédéliques diminuent le risque de suicide, alors que les drogues au contraire l’aggravent.[9]
La violence sociale et conjugale. Selon une étude américaine de 2014[10] portant sur 25 000 prisonniers, les personnes ayant consommé des psychédéliques ont moins de risque de rechute dans l’alcoolisme ou d’autres drogues. Elles adoptent aussi une attitude plus « pro sociale », diminuant le risque de récidive en matière de criminalité (« anti-sociale »). Une autre étude publiée en 2016 et portant sur 300 détenus, montre également que les psychédéliques réduisent de moitié la violence conjugale, en freinant “l’externalisation de la pathologie mentale », c’est-à-dire le passage à l’acte.[11]
En 2018, une étude[12] menée dans la population générale confirme : «La consommation de certaines drogues comme l’alcool, la méthamphétamine ou la cocaïne est souvent associée à une agressivité accrue et à la violence conjugale. L’utilisation de psychédéliques semble avoir l’effet inverse”, affirme Michelle Thiessen, auteure principale de l’étude.
Pour le Docteur Olivier Chambon, les psychédéliques pourraient même être utiles dans les thérapies de couple : « La MDMA libère l’ocytocine présent dans cet organe, via une stimulation des récepteurs sérotoninergiques. Or l’ocytocine est une hormone impliquée dans l’attachement, l’amour, l’extase. Il existe une boucle de régulation entre le cœur et le cerveau émotionnel, qui procure un apaisement et un renforcement des capacités cognitives. Comme disait les thérapeutes années 70–80, cités par Saunders (1996) : la MDMA est unique dans la mesure où elle a raison des inhibitions et conduit très vite le sujet de la haine à l’amour et à la compréhension de l’autre».
Le stress post-traumatique (TSPT). C’est surtout la MDMA qui est étudiée pour cette indication, dans le cadre d’une « psychothérapie assistée par psychédélique» (PAP). Des essais randomisés contrôlés aux États-Unis et en Suisse ont démontré des améliorations significatives à long terme chez les patients atteints d’un TSPT résistant aux traitements, comme les vétérans américains, grâce à une psychothérapie assistée (Mithoefer, 2013, 2018; Oehen, 2013).
D’autres recherches se poursuivent dans le cadre d’un essai clinique international de phase 3, sponsorisé par la MAPS, association de soutien à la recherche sur les psychédéliques citée plus haut. Cette association espère obtenir une autorisation de mise sur le marché pour la MDMA comme médicament pour la PAP d’ici 2021. Pour ce faire, la maps coordonne un plan de financement de plus de 25 millions de dollars !
Anxiété en cancérologie. Deux essais contrôlés randomisés en double aveugle portant sur 80 patients atteints de cancer a permis de tester la psilocybine pour la dépression et les symptômes anxieux (Griffiths et al., 2016; Ross et al., 2016). Roland Griffiths, professeur à l’université Johns-Hopkins, explique : « un diagnostic de cancer menaçant la vie peut être psychologiquement difficile, avec des symptômes très fréquents d’anxiété et de dépression ». Une seule dose de psilocybine provoque un effet positif à la fois immédiat et durable (sur six mois) chez 80 % des participants, moins anxieux face à la mort ».
Soins palliatifs. Les psychédéliques pourraient ainsi représenter une aide précieuse en soins palliatifs. Ils soulagent les douleurs physiques et psychiques. Une alternative crédible à la sédation palliative, qui consiste en une diminution de la conscience par l’administration de médicaments. Les psychédéliques peuvent au contraire redonner du sens à l’expérience vécue dans cet ultime passage, avec une acceptation de la mort dans la pleine conscience. Ils pourraient aussi apporter à l’entourage une solution plus satisfaisante que la sédation palliative de leur proche.
Les psychédéliques enseignent une autre vision de la réalité terrestre, qui permet de “relativiser” la mort physique, source d’angoisse ou d’anxiété chez la majorité des humains.
Anxiété de l’autisme. Une autre étude pilote menée en double aveugle[13] montre que la MDMA améliore le confort de vie des autistes. Conduite sur 12 patients, en partenariat avec la FDA et avec le soutien financier de la MAPS, l’étude a révélé des réductions significatives et durables de l’anxiété sociale après deux séances de psychothérapie assistée par la MDMA. L’étude a également démontré l’innocuité d’emploi en milieu thérapeutique contrôlé. Cette molécule connue pour générer plus d’empathie est toute indiquée pour la prise en charge des phobies sociales en général.
Les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles alimentaires. Une petite étude[14] de phase I réalisée sur 9 personnes a démontré une amélioration spectaculaire chez tous les sujets après quatre doses de psilocybine. Chez 7 sujets, la diminution des symptomes est de 50 % pendant plus de 24 heures. Deux sujets ont vu leur amélioration se prolonger une semaine, un troisième a présenté une rémission complète à 6 mois[15]. Les psychédéliques pourraient aussi être utiles dans les troubles alimentaires, anorexie et boulimie.
Algie de la face. Parfois appelé « céphalée suicidaire » tant les douleurs donne envie de se jeter par la fenêtre, l’algie de la face est mal soignée (73 % d’échec). Dans une étude publiée en 2006[16] par une équipe de Harvard, les psychédéliques bloquent les crises, retardent leur venue ou même totalement les font disparaître. Une recherche à approfondir d’urgence pour ces personnes qui souffrent de cette pathologie.
Parkinson, Alzheimer… Les psychédéliques ont une action protectrice, voire antidégénérative sur le cerveau. L’ibogaïne est ainsi évaluée dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. L’harmine (contenue dans l’ayahuasca) fait à nouveau l’objet d’intérêt pour le traitement de diverses formes de cette maladie.
« Des chercheurs de l’université de South Florida sont en train d’étudier l’action de la psilocybine comme facilitatrice de la naissance du développement de nouvelles cellules cérébrales (neurogenèse) dans une aire du cerveau humain, l’hippocampe, associé à l’apprentissage et la mémoire, explique Olivier Chambon. L’étude de l’Hoasca Project, portant sur des utilisateurs au long cours d’ayahuasca au Brésil montre qu’il n’y a pas de déficit cognitif chez ces personnes, mais qu’en plus la plupart d’entre elles ont de meilleures performances cérébrales. Même chez les plus de 80 ans, cette étude décrit une acuité mentale remarquable et une grande vigueur physique.
On commence aujourd’hui à entrevoir d’autres explications à la maladie d’Alzheimer. Selon le psychologue Bernard Sensfelder, elle proviendrait d’une angoisse de la mort et de troubles émotionnels, qui entraînent des déviations fonctionnelles (et non structurelles) dans les influx nerveux. Ce praticien a mis en place une thérapie d’hypnose légère, l’eïnothérapie, déjà pratiquée dans plusieurs Ehpad en France, avec des guérisons chez les gens atteints d’un Alzheimer débutant. Ces travaux expliquent mieux pourquoi les psychédéliques pourraient être particulièrement adaptés pour améliorer la santé cérébrale.
Burnout et maladies psychosomatiques. Les substances psychoactives ont la capacité d’élargir la conscience au-delà du moi pour résoudre des conflits émotionnels ou existentiels responsables de diverses pathologies (mal de dos, migraines, etc). Les psychédéliques, c’est LA médecine psycho–somatique par excellence. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’elle est utilisée dans les médecines chamaniques pour de nombreuses indications, mentales comme physiques.
Mal-être au travail, anxiété chronique, dépression… Saturés de matérialisme, de nombreux Occidentaux vivent dans une impasse existentielle. Leur engouement pour le chamanisme traditionnel est le reflet de ce besoin de thérapies naturelles plus globales intégrant l’aspect spirituel, dont nous a amputé la médecine occidentale.
La nécessité d’un cadre thérapeutique
« À mon sens une libéralisation totale n’est pas souhaitable : ces substances sont trop puissantes et trop sérieuses pour ne pas nécessiter un minimum de précautions et de respect dans leur utilisation; La littérature clinique s’accorde à dire que les psychédéliques sont généralement sûrs et efficaces quand ils sont utilisés comme convenus.
«Comme tout outil, ils devraient être utilisés par des gens correctement formés. Ils permettraient alors de réduire le trou de la sécurité sociale, car leur efficacité rapide, en quelques prises, génèrent beaucoup moins de dépenses que la prise quotidienne étalée sur de longs mois, voire des années, de traitement antidépresseurs, tranquillisants, antalgiques ou autres. Une autre source potentielle d’économie provient de la capacité avérée de ses psychédéliques à traiter très efficacement des populations difficiles (toxicomanes, alcooliques).
À quand l’arrivée des médicaments psychédéliques ?
« On peut toujours rêver, mais je crains que cela relève de l’utopie, commente Olivier Chambon. Il y a de fortes chances pour que cela reste le privilège de quelques initiés ». La médecine psychédélique comme la physique quantique bouleverse profondément l’esprit matérialiste et sa phobie des états modifiés de conscience. « Notre société est trop cognitivo–centriste, considérant l’état de conscience ordinaire comme la seule position d’observation crédible et la seule source valable d’informations et de savoirs utiles », déplore Olivier Chambon.
Ces molécules sont subversives car elles peuvent permettre à la population de se libérer de certaines manipulations. Regarder les infos sous psychédéliques donne, parait-il un tout autre éclairage… Les psychédéliques favorisent l’empathie envers autrui, la conscience écologique, ils pourraient entraîner un profond changement de société. Pour Heaven et Harting (2006), les plantes sacrées fournissent un moyen de sortir de nos hallucinations occidentales collectives, de notre hypnose négative et de changer nos visions. Pas sûr que “le système” soit d’accord.
A moins que ces molécules ne deviennent la nouvelle chasse gardée des laboratoires… Ces derniers ont pu profiter de 50 ans de prohibition des psychédéliques pour commercialiser des molécules aux effets secondaires aujourd’hui largement décriés. Nul doute que les laboratoires réfléchissent déjà à la meilleure manière de ne pas rater le train de la révolution psychédélique, territoire, malheureusement pour eux, faiblement brevetable. Des milliards de dollars sont en jeu.
D’ici là, l’interdiction de la consommation de psychédélique profite surtout à un usage récréatif illégal et non conscient, peu propice à libérer les bienfaits de ces substances, mais favorisant plutôt les abus, les cocktails toxiques, les bad trip dangereux, les épisodes psychotiques, à l’opposé exact de l’usage traditionnel chamanique : un rituel sacré pour une médecine de l’âme. Gare aux interactions avec d’autres psychotropes ou drogues ! La prise de certains psychédélique peut s’avérer dangereuse avec les anti-dépresseurs, l’alcool, le bruit ou les ambiances surchauffées des soirées techno.
Les trois psychédéliques favoris de la science
Le Docteur Chambon estime néanmoins que la kétamine pourrait être la première molécule autorisée pour les thérapies assistées par les psychédéliques, car c’est la seule déjà employée en médecine (en tant qu’anesthésiant). Le laboratoire Janssen (groupe Jonhson & Johnson) s’y intéresse de très près pour un nouveau traitement contre la dépression.[17] Engagé dans une trentaine de pays, son essai clinique mené sur l’eskétamine (la cousine de la kétamine) implique l’hôpital Sainte-Anne, en France, sous la direction du Dr de Maricourt. C’est sans doute le seul psychédélique a pouvoir être étudié en France. La Food & Drug Administration (FDA), le gendarme américain de la santé, a accordé le statut privilégié de “thérapie innovante” à la molécule de Janssen pour la rendre plus rapidement disponible.
Le scientifique Robin Carhart-Harris se veut optimiste pour la psilocybine. Elle se rapproche de légalisation en tant qu’alternative aux antidépresseurs car c’est une molécule naturelle, dont les effets durent moins longtemps que le très stigmatisé LSD. Du côté de la MAPS, on pense aussi que la MDMA est en bonne voie comme médicament contre le stress post-traumatique.
Une chose est sûre, les mentalités évoluent et la seconde vague de la recherche sur les psychédéliques a commencé. Des ouvrages comme « Guérir quand c’est impossible », d’Antoine Sénanque, montre qu’une médecine plus spirituelle est souhaitée par bon nombre de médecins, empathiques à la détresse de leurs patients.
LEXIQUE PSYCHEDELIQUE
Le nombre de substances psychoactives est très important. On peut en avoir une aperçu sur le Wikipédia des “psychonautes”,[18] terme qui désigne les utilisateurs actuels, nombreux, de substances psychoactives. Voici les principales.
Psilocybine. Principe actif de certains champignons hallucinogènes, il a été isolé pour la première fois par Albert Hofmann en 1958 à partir de sclérotes du psilocybe mexicana, consommé traditionnellement au Mexique. Cette molécule, présente dans des proportions variables dans de nombreux champignons, est classée par l’ONU parmi les « substances ayant un potentiel d’abus présentant un risque grave pour la santé publique et une faible valeur thérapeutique ». Les effets durent entre 4 et 9 heures en fonction du dosage et du mode d’administration.
Iboga. Petit arbuste d’Afrique de la forêt équatoriale, les racines contiennent douze alcaloïdes, dont l’ibogaïne, psychostimulante et hallucinogène. Ces racines sont utilisées finement coupées en lamelles ou râpées afin de former une poudre. Classée comme stupéfiant, sa culture et sa consommation sont interdites en France et dans de nombreux pays. La recherche considère l’ibogaïne comme l’un des meilleurs traitements potentiels contre les addictions (cocaïne, héroïne, morphine, opium, alcool, nicotine).
Mescaline. Cette molécule est présente dans différents cactus comme le peyotl et le san pedro. Dans « Les portes de la perception », paru en 1954, Aldous Huxley raconte son expérience avec la mescaline. Plusieurs décennies d’observation chez les populations indigènes ont documenté son efficacité contre l’alcoolisme en particulier et les drogues en général, sans effets toxiques même en utilisation au long cours.
Ayahuasca. Classée en France comme stupéfiant en 2005, mais autorisée depuis 2006 aux États-Unis, cette liane amazonienne est traditionnellement utilisée dans le chamanisme. Le livre de Jérémy Narby, « Le serpent cosmique », l’a rendu célèbre, ainsi que le film de Jan Kounen, « D’autres mondes ». Les données scientifiques confirment son innocuité lorsqu’elle est prise dans un cadre adéquat. La préparation ancestrale (qui inclut une autre plante, la chacruna) contient des substances psychoactives comme la DMT, l’harmine et l’harmaline. On sait aujourd’hui que le cerveau humain produit aussi, via la glande pinéale, de la DMT et de la pinoline, proche de l’harmine.
LSD. Synthétisé fortuitement par le chimiste suisse Albert Hofmann en 1943, l’acide lysergique diéthylamide est un dérivé de l’ergot de seigle qui appartient à la même famille que la psilocybine. Des plantes de la famille des convolvulaceae comme l’Ipomoea tricolor renferment des alcaloïdes dérivés de l’ergoline comme l’ergine (LSA) dans leurs graines, utilisées dans un cadre rituel sur le continent sud-américain par des populations précolombiennes. En 1971, le LSD est classé par l’ONU parmi « les substances ayant un potentiel d’abus présentant un risque grave pour la santé publique et une faible valeur thérapeutique. » En 2006 aux Etats-Unis on estimait à 23 millions le nombre d’Américains ayant déjà consommé du LSD et à 600 000 consommateurs annuels.
La MDMA appelée également MD ou ecstasy, appartient à la famille des amphétamines, également proche de l’hallucinogène mescaline. Elle a des effets empathogènes et stimulants. Classée comme stupéfiant, son utilisation comme drogue récréative s’est banalisée dans les années 90, avec l’avènement du mouvement techno. En France, en 2010, on estimait le nombre d’expérimentateurs (au moins une fois dans leur vie) à environ 1,1 million et les usagers actuels à environ 150 000.
Kétamine. Molécule bien connue des anesthésistes depuis les années 60 et des clubbeurs pour ses effets euphorisants, on a découvert ses bienfaits sur l’humeur un peu par hasard, au début des années 2000. Aucune altération du comportement au long cours ni aucun trouble de la personnalité ne résulte de l’utilisation de kétamine selon les études. « Anesthésique dissociatif », elle déconnecte l’esprit du corps. À des doses dix fois moins fortes que celles typiquement utilisées en chirurgie pour l’anesthésie générale, elle permet une expérience psychédélique profonde d’une durée d’une heure environ.
DMT. Le cerveau humain produit naturellement une
substance très similaire au LSD appelée diméthyltryptamine (DMT). Cette
substance est présente dans de nombreux végétaux et dans le cerveau de tous les
mammifères. Elle est qualifiée de “psychédélique universel”.
[1] Les Arènes, 2009.
[2] “Drug harms in the UK: a multicriteria decision analysis.” Nutt et al. Lancet 2010.
[3] “Implications for psychedelic-assisted psychotherapy: functional magnetic resonance imaging study with psilocybin”. Carhart-Harris et al. Br J Psychiatry, 2012. “Neural correlates of the psychedelic state as determined by fMRI studies with psilocybin”. Carhart-Harris et al. Proc Natl Acad Sci USA 2012
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[11] “Hallucinogen use and intimate partner violence: Prospective evidence consistent with protective effects among men with histories of problematic substance use”. Walsh et al. J Psychopharmacol, 2016
[12] “Psychedelic use and intimate partner violence: The role of emotion regulation”, Thiessen et al, J Psychopharmacol 2018
[13] “DMA-assisted therapy: A new treatment model for social anxiety in autistic adults”. Alicia et al. Progress in Neuro-Psychopharmacology & Biological Psychiatry, 2015
[14] Moreno FA et coll. J Clin Psychiatry 2006
[15] “Psilocybine et TOC” (A. Bottéro) dans Neuropsychiatrie : Tendances et Débats 2007
[16] “Response of cluster headache to psilocybin and LSD”, Sewell et al. Neurology 2006
[17] “Les nouvelles armes des labos contre la dépression. Les Échos. 7 avril 2017.
[18] psychonautwiki.org
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